Pourquoi la psychologie structurelle ?

Son intérêt pour la clinique et pour le psychologue légal

La psychologie structurelle est une branche de la psychologie clinique. D’obédience psychanalytique, la théorisation structuraliste est représentée par les développements de nombreux auteurs, dont, en France, et je citerai ici ceux dont s’inspire essentiellement ma pensée, Jean Bergeret (né en 1923), et Jacques Lacan (1901-1981), tous deux psychiatres et psychanalystes. C’est par ma formation aux techniques projectives (cf. Les outils d’investigation de la personnalité pour savoir ce que c’est !) par le Groupe de Lausanne (équipe constituée de psychologues cliniciens dont, pour ceux qui ont assuré mon instruction, Frieda Rossel et Olivier Revaz) que j’ai été plus précisément introduite à cette façon de concevoir la psychopathologie.

Claude Balier (1925-2013), également psychiatre et psychanalyste, a pour sa part développé une compréhension des agirs délinquants au long de sa pratique en tant que médecin cadre du Service Médico-Psychologique Régional (SMPR) d’une prison française. Sa conception s’est forgée à partir du système structuraliste. Il la décline dans deux ouvrages majeurs : Psychanalyse des comportements violents (1988) et Psychanalyse des comportements sexuels violents (1996). Balier distingue clairement au sein des auteurs de crimes et délits des individus qui présentent des structures de la personnalité différentes et il décrit cette distinction avec beaucoup de précision. Sa théorisation, ancrée dans une pratique clinique de pointe, présente un grand intérêt pour les professionnels confrontés aux individus délinquants.

Je cite également ici l’apport d’une clinicienne et théoricienne structuraliste d’origine néo-zélandaise ayant émigré à Londres pour se former à la psychanalyse, Joyce McDougall (1920 – 2011). Elle a beaucoup travaillé sur la question de la perversion, en particulier lorsque la perversion se manifeste au niveau de la sexualité. Ses écrits distinguent clairement symptômes visibles et structure psychique sous-jacente, ce qui permet au lecteur de comprendre le fonctionnement et la spécificité d’un individu, au-delà des idées toutes faites, si étrange puisse paraître son fonctionnement de l’extérieur.

Voilà pour les auteurs ayant théorisé de ce côté-ci de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, la théorisation de Otto Kernberg, psychiatre et psychanalyste américain né en 1928 à Vienne, en Autriche, est également une pensée structuraliste basée sur la pratique clinique. Il a en particulier présenté une différenciation entre personnalité narcissique et état-limite selon le degré structurel « atteint » au cours du développement psycho-affectif de l’individu étudié. Oui, parce que la théorisation structuraliste est basée sur le postulat théorique qu’il existe des structures plus évoluées que d’autres dans le sens que l’individu aurait dépassé ou non avec succès un certain nombre de stades du développement psycho-sexuel (comprendre « psycho-affectif »). Pour un développement à ce sujet, voir l’article Evolution de l’enfant et psychogenèse par Patrick Juignet, psychiatre formé à la psychanalyse.

Ainsi pour mes lectures majeures relatives à la pensée structuraliste, pensée qui forme un tout assez cohérent même si chacun des théoriciens apporte à la nosographie une touche personnelle liée à sa pratique particulière. D’abord, il s’agit de différencier névrose et psychose en tant qu’entités structurelles distinctes. A ce sujet, les divers auteurs se montrent plutôt d’accord : la structure névrotique ou, plus simplement, la névrose, se caractérise par le plein aboutissement de la maturation psychique du sujet, soit le résultat positif du passage, sans heurts majeurs, par les différents stades du développement psycho-sexuel, avec bien entendu ce que l’on nomme la « résolution du complexe d’Oedipe » (pour le détail, voir l’article Troisième phase structurante : la sexuation et l’œdipe, de Juignet toujours). La structure psychotique, quant à elle, et si l’on en croit les auteurs psychanalytiques majeurs, serait le résultat d’un développement psycho-affectif troublé et se présenterait comme un archaïsme psychique difficilement (voire non) modifiable par le travail psychothérapeutique.

Dans les deux cas, la structure est conçue comme pérenne, bien que les « élèves » de Bergeret tels que René Roussillon et Pascal Roman envisagent actuellement davantage de flexibilité au sujet du statut des entités structurelles. En effet, ces auteurs se représentent les personnalités individuelles comme construites selon des pôles d’organisation psychique (et plus des structures) et partent du principe qu’il s’agit avant tout de ne pas exclure la possibilité du développement de nouvelles potentialités. De mon point de vue, le développement opéré par ces auteurs n’est pas compatible avec ce que nous donne à voir la clinique et semble davantage empreint d’un parti pris bienveillant face aux capacités évolutives des individus. Pourtant, le diagnostic psychopathologique n’est pas une question de morale, c’est une question scientifique. Il s’agit à mon sens de ne pas être dupe de notre propre espoir de changement chez nos patients si l’on veut les aider au mieux.

J’ai pu observer au décours de mes échanges avec des collègues psychologues d’autres obédiences, soit non psychanalytiques (pour ne pas dire « anti »-psychanalytiques pour certains – la haine semble farouche) une forme de crainte que les cliniciens structuralistes jugent puis rangent les patients qu’ils reçoivent dans des tiroirs desquels il leur sera ensuite impossible de sortir indemnes. Cela arrive sans doute, mais ne tient pas de la psychologie structurelle : cela tient de l’incapacité ou du détachement du clinicien à observer de nouveaux signes et à remettre en cause son hypothèse une fois son diagnostic posé. Quant aux capacités évolutives qui seraient niées, c’est mal lire la psychanalyse que de croire cela, comme je l’ai souligné plus haut.

Pour ma part, j’estime les passages proposés par Bergeret dans son ouvrage de 1974 (La personnalité normale et pathologique) entre catégories structurelles à la faveur d’événements précis comme impossibles. N’ayons pas peur d’appeler un chat un chat ! Lorsque je verrai démontrée dans le clinique le passage d’une structure à l’autre (ou même l’existence d’une nouvelle structure, voire l’absence de pertinence du concept même de structure), je réviserai mon point de vue. Ce que j’ai pu observer, pour l’heure, c’est que le sujet psychotique de structure n’élabore pas et qu’il ne le fait pas même après de longues années de travail psychothérapeutique et que rien ne sert de vouloir l’interpréter avec l’attirail de la compréhension symbolique du monde qui est le propre des psychanalystes et des structures névrotiques. Qu’au contraire, cela peut le persécuter. Ce que j’ai pu voir également, c’est que l’interprétation psychanalytique est celle qui sert le sujet névrotique à aller vers plus de liberté interne et qu’avec lui il s’agit en priorité de travailler son (toujours) fort et souvent handicapant sentiment de culpabilité.

Voilà pour la névrose et la psychose.

Là où les auteurs qui m’apparaissent fondamentaux (Bergeret et Lacan) ne se rejoignent pas, c’est à propos de leur conception à l’un et à l’autre d’une troisième structure, souvent représentée comme intermédiaire entre les deux autres sur le plan développemental. Bergeret choisit de l’envisager comme une « organisation » (parce qu’elle ne présenterait pas les caractéristiques de stabilité d’une structure) de la personnalité, soit l’organisation limite. Cette organisation engloberait, pour faire simple, toutes les personnalités du registre narcissique (narcissisme secondaire au sens freudien), et parmi elles, les sujets pervers et les psychopathes.

Lacan quant à lui reprend la définition freudienne de la perversion pour spécifier une catégorie structurelle à part entière. Selon ma compréhension, elle appartiendrait à ces sujets qui transgressent ce que l’on nomme classiquement la différence des sexes et la différence des générations (sur le pervers et l’écueil de la différence des sexes, voir un autre article de Juignet). Le problème de la nosographie lacanienne, c’est qu’elle situe difficilement le sujet psychopathe. J. Reid Meloy, psychologue et psychanalyste américain, par la publication de son ouvrage Les psychopathes. Essai de psychopathologie dynamique en 2000, m’avait sensibilisée à la nature archaïque du fonctionnement du psychopathe. L’auteur ne lui donne pas un statut structurel psychotique … mais presque. La clinique m’a montré qu’il est pertinent de situer les psychopathes (tels qu’ils sont décrits par Meloy) dans la catégorie de la structure psychotique. Pourtant, il est encore des lacaniens (et je pense en particulier à un ancien superviseur et formateur) pour situer mes patients psychopathes au sein de l’entité structurelle perverse, mettant alors l’accent sur le symptôme au détriment du fonctionnement profond.

Voilà pourquoi la psychologie structurelle. En effet, cette manière de catégoriser les individus selon la structure de personnalité permet au psychothérapeute de proposer un traitement adapté (et réaliste) face à la structure psychique d’un individu mais également à l’expert psychologue d’expliquer le sens des agirs dans une situation particulière.

Pour dernier exemple, si l’on se réfère à Balier, qui a étudié en détail les individus présentant des comportements délictueux, l’on apprend qu’il est possible de recenser deux types d’abuseurs sexuels sur enfants (cf. in La violence en Abyme, 2005), le premier de structure psychotique (entité dénommée alors « perversité narcissique ») et le second de structure perverse (type nommé « perversion sexuelle »). Les enjeux relationnels sous-jacents à l’acte, le type d’entrée en contact avec la victime et le sens des agirs diffère selon qu’ils s’agit de l’une ou l’autre structure qui est en cause. Le travail clinique avec des auteurs d’abus sexuels tel que je l’ai pratiqué en milieu de détention donne à voir cette catégorisation qui permet de cerner le type de suivi à proposer à un sujet particulier.

Adapter le traitement à la structure, voilà un enseignement fondamental de Bergeret.

Enfin, j’estime que la différenciation précise entre les structures et leurs manifestations permet d’accéder à des hypothèses plus précises s’agissant du risque de récidive que les échelles classiques américaines (pour une critique de l’utilisation de ces échelles, un nouvel article apparaîtra prochainement dans ce blog).

Bref, reconnaître l’individu dans sa particularité est gage de réussite. Non pas forcément réussite thérapeutique (en effet, si nous savions précisément comment soigner les délinquants de leur incapacité à ne pas agir, nous n’en serions pas là), mais réussite de la rencontre entre eux et nous. En effet, ce n’est qu’à partir du moment où j’ai intégré la nosographie structurelle et ai été capable d’en distinguer les signes, que je me suis mise à comprendre ceux qui ne partagent pas, avec moi, la même structure. Ils m’en ont, seulement parfois certes (mais c’est déjà ça !) été reconnaissants.

Virginie Kyburz / 17.10.2015