Le rap.
Y’a rien de tel que le rap.
Des paroles, de la rime. Une urgence, une intensité.
Les frissons provoqués par les mots qui claquent…Vu comme va le monde, plutôt que des gilets de sécurité, il faudrait des gilets de sauvetage.
C’est le rap qui m’a aidée, en prison. A entrer en relation. Avec ce mineur délinquant. Tellement méfiant.
Je savais qu’il restait là deux semaines maximum, dans cette maison d’arrêt pour adultes, comme c’était alors la loi. Il était tellement fermé au dialogue. Je lui ai posé quelques questions. Il m’a dit qu’il se trouvait dans une aile avec des détenus dangereux.
Je lui ai dit « Dangerous, comme dans la chanson d’IAM ». Il a répondu : « Vous connaissez ? ». C’était il y a 20 ans. Je m’en souviens encore. Maintenant il doit en avoir 35… J’espère qu’il va bien.
Il m’a alors raconté la tourmente, sa première fois en prison, la honte, le regard de son père…
C’est donc IAM qui m’a permis d’entrer en contact avec lui. C’est le rap. A chaque fois que j’écoute du bon rap français, je suis replongée dans cette prison, à Bruxelles. Et ceux que j’appelle « nos gars », me manquent.
Mais, cette fois, quand j’entends « Le fric » de La Canaille, un groupe que je viens de découvrir, je pense à l’actuel mouvement citoyen des Gilets jaunes.
Ecoutez cette chanson, le texte est magnifique :
« La pression
Tous sous la pression
Compte bancaire à découvert, salaire dérisoire
Constamment dans l’rouge, ici on travaille pour la gloire
Le peu d’argent qu’on gagne est bouffé par les crédits
A peine ta paye arrive que déjà, t’as l’trois quarts qui est saisi
Je vais retirer du cash comme je joue au loto
Je tente ma chance, et si ça marche pour 20 euros j’suis fin heureux
Toujours les poches vides, c’est pas pour nous qu’les vitrines brillent
Nous on est juste voués à avoir envie, et partir en vrille
Être sans sou ça rend fou, une véritable obsession
Plus qu’ça en tête, tu gamberges, cherches une solution
Prise de décision entre le marteau et l’enclume
Ta conscience te fait défaut, laisse ton cerveau dans la brume
Du fric
D’la maille
Eh ouais la tune
Besoin d’oseille
Faut qu’ça rentre, c’est tout c’qui compte, une seule et triste ambition
Bordel, faut qu’on s’en sorte à n’importe quelles conditions
C’est c’qui nous pousse à accepter c’qu’on devrait pas
A oublier qu’en temps normal on le ferait pas
C’est grave comme on met d’côté notre fierté pour du pognon
Regarde à quoi on est réduit, comme on s’rabaisse devant nos patrons
Tellement peur du chomdu qu’on s’laisse marcher dessus
Du coup, au taf, on mouche pas, on s’prostitue
On est en manque et c’est la cause de tous nos maux
Il nous faut notre dose à nous aussi, c’est pas nouveau
Te méprends pas, on veut qu’notre dû, on demande pas l’aumône
Pour enfin vivre décemment et faire plaisir à nos mômes
Eh ouais, j’parle de pèze c’est tendu, j’entends d’là les réfractaires
Me dire que j’suis tombé bien bas, j’exagère
Propos trop terre-à-terre, à leurs yeux y a pas qu’ça qui compte
Ça manque de poésie dans mes écrits, ils trouvent ça vulgaire
Moi je me méfie de ceux qu’ça gêne, pas clairs avec leur blé
Les mêmes pour qui c’est tabou d’en parler
De suite sont mal à l’aise, pleins d’mystères dans leurs affaires
Soit ils gagnent trop, soit c’est malhonnête et souvent ça va d’pair
Pendant ce temps-là, nous on s’partage des bouts de misère
De petits boulots en petits boulots l’avenir pour nous reste précaire
Tous résignés, déçus, fatigués
Les vieux t’diront qu’chez nous on perd sa vie à la gagner
Alors…
Du fric
Bien sûr qu’on veut du fric
D’la maille
Pour pas finir sa vie sur la paille
Eh ouais la tune
Des fois pour ça on décrocherait la Lune
Besoin d’oseille
Dans ce monde où tout a un prix, où tout s’paye
La pression
Tous sous la pression »
Se délester du surplus… Planter nos propres légumes et récolter des fruits. Laisser nos enfants courir sur le terrain.
Revenir à l’essentiel. Et ça ira très bien.
Ecoutez « Encore un peu » en Deezer session. Ecoutez « Accalmie ». Ou encore « Rapper en paix ».
Oui, écoutez La Canaille : c’est tellement beau.
Virginie Kyburz / 21.11.2018