Le « pervers narcissique » aurait-il un complice ?

Récemment interrogée par une patiente sur ce qui unit l’adulte HP et le « pervers narcissique » dans le couple (faisant alors référence à une phrase de mon article Vous avez dit « zèbre » ?), je vais tenter de définir les contours de cette relation. Les difficultés rencontrées par les zèbres victimes de violence morale dans le couple et qui cherchent des réponses auprès d’un psychologue sont les suivantes : quitter ce couple, voir quitter une forme d’emprise même si la relation est physiquement terminée. Et la question lancinante en suspens se formule ainsi : comment ne pas reproduire ce type de relation ? Explorons.

Le pervers narcissique aurait, selon certains, un « complice ». La proposition est d’Alberto Eiguer (cf. son ouvrage Le pervers narcissique et son complice, Bordas, Paris, 1989 pour la 1ère édition) : le pervers narcissique serait un escroc, la victime une forme de complice consentante (masochiste, si on écoute l’auteur dans cette vidéo, et le plus souvent féminine). C’est un point de vue. Que le lecteur pourra allégrement approfondir en lisant l’ouvrage d’Eiguer. Ici je vous propose d’exposer le mien.

En la matière, d’ailleurs, il faut savoir que pour tout un chacun, en général, le pervers c’est l’autre …

Vous vous demandez peut-être pourquoi je prends la précaution d’encadrer l’expression « pervers narcissique » de guillemets … La raison est simple : d’abord parce qu’il semble y avoir presqu’autant de définitions à ce terme que d’utilisateurs de l’expression, ensuite parce que la clinique semble montrer qu’au moins deux catégories structurelles, dont l’une ne peut être taxée de perverse, sont représentées par ce « diagnostic ».

Alors, qui sont donc ces sujets que l’on nomme communément pervers narcissiques ? Pourquoi ce terme, puisque la perversion, la vraie, celle qui est classiquement décrite par la psychanalyse, n’est dans certains cas pas du tout impliquée dans la violence morale subie par la victime ? Je ne reviendrai pas ici en détail sur ce qui fonde la différence entre la structure à l’œuvre dans ce qui est décrit dans l’ouvrage de Balier (La violence en Abyme, 2005) comme « perversité narcissique » et la structure perverse proprement dite. Le lecteur se référera à mon article introductif à la psychologie structurelle à ce sujet pour rappel utile.

Il est à noter que la plupart des auteurs qui écrivent sur les pervers narcissiques n’ont rencontré que leurs victimes. Cela semble assez logique du fait que ces personnalités ne consultent pas, ou que s’ils le font ils trouvent rapidement que leur thérapeute est insuffisant ou « contre » eux. Cela tient de l’observation clinique. Pour ma part, j’ai rencontré beaucoup de ces sujets en prison. Mais il est vrai que j’infère que ce sont, dans la relation, des pervers narcissiques. Parce qu’en effet ils ne viennent pas en me disant qu’ils le sont ! Ils ont plutôt tendance à signifier combien leur comportement condamnable est dicté par le comportement de leur partenaire …

Mais la distinction structurelle faite supra existe et les victimes qui rapportent ce type de violence morale ont tantôt été aux prises avec un pervers, tantôt avec un individu de structure psychotique. Dans les deux cas, l’empathie du zèbre est repérée instinctivement et exploitée, puisqu’elle est utile à l’auteur de la violence ou de l’emprise pour pouvoir « projeter », c’est-à-dire déposer à l’extérieur, la source de ses difficultés (difficultés que ce dernier ne reconnaît pas comme siennes), et de ses tensions ou frustrations. Le lien entre le zèbre et le pervers narcissique se tisse également du fait que le premier est fragilisé de par sa capacité à douter et à se remettre en question personnellement (et de manière permanente). Il accepte de prendre à son compte la responsabilité des tensions dans la relation ou de l’insatisfaction de son partenaire.

Voyons quelques questions d’une zébrette, suivies de mes réponses :

La seule issue est-elle la fuite ?

Virginie K. : Bien sûr que dans ces cas de relations toxiques je conseille la fuite, mais il y a certains zèbres qui veulent gagner et qui finissent par gagner. Le plus souvent ils se séparent avec fracas et beaucoup de souffrance psychologique, mais parfois ils gagnent s’agissant des enjeux financiers.

Faut-il s’inquiéter de reproduire cette « liaison » avec un autre partenaire puisqu’elle est facile ? (la question fait également référence à mon article sur le Destin de la pulsion)

Virginie K. : A ce sujet, je dirais que la pratique clinique m’a permis d’observer plutôt que les zèbres apprennent de leurs erreurs et qu’une fois qu’ils ont vécu une telle relation et ses conséquences, il se méfient énormément et ne la reproduisent pas. Dans Destin de la pulsion, je ne dis pas que l’objet d’amour qui sera choisi à la place de celui qui est perdu sera de même nature.

À quoi reconnaît-on un pervers narcissique que l’on devrait éviter lorsqu’on est un zèbre ?

Virginie K. : J’ai bien du mal à vous dire à quoi on repère un pervers narcissique, non pas parce que je ne le sais pas et que je ne pourrais pas repérer les deux structures psychiques dont je parle, mais parce que cela est très difficile de transmettre cette connaissance. En effet, le mode de pensée est difficilement compréhensible d’une structure psychique envers une autre. C’est-à-dire que nous passons notre temps à interpréter sur notre propre mode les actions, phrases et réactions des pervers, psychopathes et paranoïaques, mais que nous ne les comprenons pas vraiment. Je dirais qu’avant tout il faut se fier à ce que l’on ressent et sur le sentiment d’être dans un dialogue constructif dans lequel la faute ne nous est pas toujours imputée. Ce qui compte c’est de pouvoir entendre ses propres besoins et ne pas accepter d’être maltraité(e). Parfois il faut un travail thérapeutique avec une personne bienveillante pour y parvenir.

Dans une vie de couple, on est en droit d’attendre du soutien de la part de son partenaire, une écoute de ses propres besoins, mais aussi de la valorisation.
L’amour c’est le soin et le don, ce n’est pas du calcul, et c’est également une occasion magnifique pour chacun des partenaires de se développer personnellement. Les envies et désirs de chacun doivent être respectés, et les ressentis personnels ne doivent jamais être niés ou illégitimés. Les couples qui fonctionnent le mieux sont capables d’adaptation : chacun des partenaires bouge un peu de sa position de base pour permettre de trouver un compromis acceptable pour tous les deux.

Virginie Kyburz / 18.06.2016