Olivier Guéniat est mort. Merde.
Je viens de l’apprendre. Je n’en reviens pas. Je cherche à comprendre. Et je pense à l’ex-directeur général de Swisscom, et puis à Kurt Cobain aussi. Destins maudits. Maudits destins.
Je n’arrive pas à trouver le sommeil. L’effet du décalage horaire sans doute. Il est 00:21 dans le sud de l’Inde. Je tourne et retourne les éléments dans ma tête. J’avais déjà vécu cette forme d’incompréhension lors du suicide de Carsten Schloter. J’étais moins étonnée lors de la mort de Kurt Cobain. L’abus de substances qu’on lui connaissait m’offrait l’une des clés de l’énigme, sans doute. Cette fois aussi, la police semble ne pas privilégier une intervention extérieure. Olivier Guéniat, le chef de la police judiciaire neuchâteloise, se serait donné la mort. Chez lui. C’est une mauvaise blague ?
La réaction commune est la tristesse. Moi je continue à être envahie par cette incompréhension … Pourtant, c’est mon métier d’accueillir et de côtoyer de près la plus grande détresse humaine. Mais Olivier Guéniat semble ne pas en avoir fait part. Et pourtant ceux qui se disent tristes, et qui le connaissaient manifestement de près, ne mentionnent pas être surpris. Sauf mon amie qui a encore récemment dialogué avec lui et l’avait senti comme à son habitude. Mais qui ne le côtoyait que de loin.
Je connaissais une partie de son travail pour avoir lu l’un de ses livres sur la délinquance des jeunes. J’aimais son esprit scientifique. Je l’avais entendu lors de conférences et j’avais suivi son parcours ces dernières années. J’étais abonnée à son fil LinkedIn. Je ne l’ai croisé qu’une fois, un soir à Gorgier ; il y promenait son chien. J’attendais encore un peu, de trouver le temps sans doute, pour lui proposer mes services en tant que profileuse structuraliste.
Cette idée n’a plus de sens. Parce qu’aujourd’hui, pour moi, en plus de la question des raisons du passage à l’acte, je me demande : et maintenant, qui va pouvoir le faire, aussi bien que lui, son travail ?
Suite au décès de Carsten Schloter, un élément-clé est apparu dans ma théorisation clinique : ce sont les sujets de structure névrotique et de statut haut potentiel qui, parmi les sujets qui sont dans l’ordre du symbolique (comme dirait Lacan), présentent le plus grand risque de passage à l’acte suicidaire. Olivier Guéniat était sans doute de ceux-là. Ses positions sur les drogues étaient avant-gardistes et courageuses. Sa mise en cause des clichés relatifs aux chiffres de la délinquance était salutaire. Manifestement il était aimé et respecté. Mais ses responsabilités étaient énormes.
Dans quel recoin se cachait sa détresse ? A-t-il fait appel à un membre de ma profession ? Aurait-on pu empêcher son passage à l’acte ? Tant que de nouveaux éléments ne viendront pas confirmer la thèse du suicide, je resterai sceptique quant à cette explication. Ou alors, il me sera permis de toucher du doigt une infime partie de son drame personnel qui donnera une explication à ce geste qui me paraîtra valable, « sensé » (j’ai fini de cette façon par comprendre le geste du patron de Swisscom, et à le situer dans le cadre de sa structure de personnalité).
J’entre-ouvre le rideau pour regarder dehors. Les rickshaw et les motos continuent leur ballet derrière les barrières du jardin luxuriant de la guesthouse qui ne me voit pas trouver le sommeil. Un oiseau piaille de manière rythmée, des … sauterelles ? chantent encore …
Le monde continue sa marche. Des êtres le quittent mais tout continue à tourner comme avant. Comme avant … vraiment ? Ou ces êtres font-ils une forme de différence ? Je parle de ces individus d’exception qui préfèrent s’en prendre à eux-mêmes qu’aux autres, qu’au système, alors qu’il n’est pas exclu qu’ils en soient les victimes. Est-il vraiment impossible d’en faire davantage pour eux ? Ces êtres avaient-ils appelé quelqu’un, avaient-ils lancé un S.O.S. ?
Sommes-nous sourds ?
Virginie Kyburz / Mysore, Karnataka, le 16.05.2017