Mesurer le haut potentiel avec un test d’intelligence : explication et exemples

L’échelle communément utilisée pour objectiver un haut potentiel chez un individu est un test d’intelligence classique. Son utilisation dans ce cas précis présente des avantages et des inconvénients, que je développe ici. Par ailleurs, j’explique pourquoi je me méfie de la définition diagnostique du haut potentiel qui se base sur le score de l’individu à ce test. En effet : à mon sens, il n’ y a pas ceux qui en sont et ceux qui n’en sont pas. Là aussi, comme pour beaucoup de particularités psychologiques ou biologiques, c’est affaire de degré. Cela n’est pas sans dérouter certains zèbres qui, malgré leur intelligence, achoppent sur la nécessité de relativiser le diagnostic. L’on pourrait d’ailleurs penser que c’est un autre de leurs traits, soit une pensée de type « tout ou rien », qui explique leur manque de nuances parfois …

Explications, avec exemples à l’appui, dont mon propre profil cognitif à l’échelle de Wechsler pour adultes.

Si l’on s’en tient à l’hypothèse actuelle, le « haut potentiel » (intellectuel et affectif) est la traduction diagnostique d’un traitement de l’information sur-efficient. Pour des détails au sujet de ce fonctionnement neuropsychologique particulier, voir cet article explicatif. La façon de fonctionner du haut potentiel multiplierait, selon l’article, les connexions entre les neurones et entraînerait en retour de meilleures capacités de traitement de l’information. Les instruments de mesure de type EEG (électroencéphalographie) et IRM (imagerie par résonance magnétique du cerveau) n’étant pas accessibles au psychologue en cabinet, il n’est pas possible à ce dernier de mettre directement en évidence ce phénomène biologique ; dès lors, ce professionnel utilise un test d’intelligence pour l’objectiver.

Les auteurs spécialistes du haut potentiel s’accordent sur le fait que le sujet est dit à haut potentiel s’il obtient un score total d’au moins 130 (une référence le situe à 125 déjà, voir à ce sujet cet article) à l’échelle d’intelligence de Wechsler.

En Europe francophone, ce sont les échelles de Wechsler qui sont utilisées en cas de suspicion de haut potentiel (il existe une échelle enfants, la WISC, et une échelle adultes, la WAIS, construites de la même manière sur le plan statistique). Néanmoins, ces échelles n’ont pas été construites pour mesurer le haut potentiel. Elles sont destinées à aider le psychologue à placer les compétences intellectuelles d’un individu par rapport à une moyenne, statistiquement définie à 100 points de QI (Quotient Intellectuel). Pour une passation complète du test, le psychologue obtient du sujet ses résultats à dix sous-tests (le matériel de test en prévoit davantage, ce qui permet selon les circonstances de remplacer un sous-test par un autre). À l’échelle pour adultes, la WAIS-IV, soit la version actualisée, pour laquelle je donnerai des résultats concrets en exemple (les miens), les scores aux sous-tests sont ensuite distribués selon quatre domaines de compétences. Pour chacun, un indice est calculé, dont la moyenne est là aussi fixée à 100. Ces indices sont ceux de compréhension verbale (ICV), raisonnement perceptif (IRP), mémoire de travail (IMT) et vitesse de traitement (IVT). Le score obtenu à chaque indice est calculé à partir des résultats du sujet à deux ou trois sous-tests qui composent l’indice.

Par exemple, pour calculer son indice de compréhension verbale (ICV), il faudra faire passer au sujet trois sous-tests de compréhension verbale, soit Information (qui se compose de questions de culture générale), Vocabulaire (le sujet doit définir des mots) et Similitudes (il s’agit d’expliquer en quoi deux objets ou concepts se ressemblent). Il est possible de remplacer l’un de ces sous-tests par le sous-test supplémentaire Compréhension, dans lequel il s’agit de répondre à des questions au sujet de situations concrètes de la vie ou de proverbes. L’on peut observer d’ailleurs que le sous-test Information n’est généralement pas bien réussi par les sujets qui passent le test pour suspicion de haut potentiel.

Certains préconisent quelques adaptations de la passation standard pour la population haut potentiel. L’épreuve perceptive des Cubes, dont les résultats sont très sensibles au stress, est placée en début de passation depuis la version IV de la WAIS. Les individus à haut potentiel présentant une prédominance très forte de l’ICV, Morin (dont l’article est déjà cité), estime qu’il serait bon de replacer Cubes comme auparavant dans l’ordre de présentation des tests. J’ai pu observer d’ailleurs que le début de la passation est souvent vécu comme stressant par les sujets haut potentiel qui peuvent facilement perdre leurs moyens, surtout ceux qui ont une anamnèse traumatisante en relation aux situations scolaires et d’examen.

Pour exemple, observons mes scores aux différents sous-tests et voyons comment ces derniers sont distribués au sein des indices :

Ce tableau, ainsi que le tableau de conversion des notes infra, sont issus de la sortie logicielle éditée par NCS Pearson aux USA et l’ecpa (Editions du Centre de Psychologie Appliquée) à Paris.

Nous voyons que deux scores seulement aux sous-tests se trouvent sur la moyenne (10), les autres sont supérieurs à la moyenne. Mes moins bonnes notes concernent Information – INF (sous-test qui met en oeuvre l’intelligence cristallisée et fait appel à des informations de la mémoire à long terme) et Symboles – SYM (il s’agit de repérer et d’analyser visuellement des formes graphiques complexes et de les discriminer le plus rapidement possible). Pour ce second sous-test, je n’aurais pas imaginé avoir été si … lente ! Par contre, je me souviens avoir rencontré des difficultés à Matrices – MAT et Puzzles visuels – PUZ, deux sous-tests perceptifs qui provoquent chez moi une forme de rejet qui m’empêche davantage de persévérance et m’amène au découragement si je ne trouve pas la réponse. Je me suis éclatée en Mémoire des Chiffres – MEM et j’ai beaucoup aimé passer les épreuves verbales en général.
Cubes – CUB est le premier test passé : je me souviens avoir eu les mains qui tremblent en début d’épreuve, puis mon système s’est calmé assez rapidement (comme lorsque je fais une présentation ou donne une formation). Par ailleurs, la psychologue qui m’a testée, et je l’ai ressenti, a mis en évidence un besoin de m’améliorer en cas d’échec d’un item pour réussir le suivant (pour les tâches qui me tenaient à coeur), et ce sans me décourager comme c’est parfois le cas chez certains zèbres.

Penchons-nous à présent sur la façon d’appréhender les scores obtenus à l’échelle de Wechsler : saisir la structure interne de l’échelle sera aidant dans ce but. Pour lire les résultats, il est nécessaire d’intégrer ce qu’est une courbe de Gauss, une moyenne, un écart-type, et supporter l’idée que celui qui obtient 110 de QI est, techniquement, toutes conditions égales par ailleurs, « plus » (davantage) haut potentiel que celui qui obtient 100 de QI …
Voyons pourquoi.

La courbe de Gauss ci-dessous présentée montre comment les scores se répartissent entre les extrêmes :

Les échelles d’intelligence de Wechsler étant construites de manière statistique, les indices, ainsi que le QI total, ont été calculés de façon à ce que 50% de la population se situe entre le score de 90 et le score de 110. S’agissant de la WAIS-IV, l’échantillon utilisé pour construire la version française est un nombre de 876 individus. Les tabelles de calcul qui permettent de convertir les résultats bruts en résultats normés tiennent compte de l’âge des individus. C’est-à-dire qu’obtenir 15 points à un sous-test n’a pas la même signification à 18 ans qu’à 78 ans si ce sous-test est sensible à l’effet de l’âge (par exemple, perte de la compétence mnésique à un sous-test de mémoire). Dans ce cas, le sujet de 78 ans qui obtient le même score que le jeune de 18 ans montre une compétence élevée, meilleure que celle du jeune. Vous me suivez ?

Pour exemple, voici la conversion de mes notes brutes en notes standard :

La courbe de Gauss et les chiffres de référence sont donc théoriques. C’est à dire que le test a été passé à tous les membres de l’échantillonnage et que c’est à partir des scores de cet échantillon que la moyenne de 100 a été fixée. C’est donc la moyenne des individus du même âge qui est utilisée pour calculer un score moyen servant de référence de comparaison lorsque le psychologue teste un sujet en particulier. Théoriquement, la moitié des individus de la population obtient, comme dit, un score compris entre 90 et 110, dont la moyenne est de 100 à chaque indice et de 100 au QIT (QI total). C’est le cas également pour l’IAG, l’indice d’aptitude générale, qui permet de corriger un QIT en cas de profil trop hétérogène (en supprimant l’impact des indices qui sont le plus soumis à l’effet des troubles neuropsychologiques, soit l’IMT et l’IVT).

Sachant par ailleurs que les profils des personnes dites à haut potentiel citées dans les études cliniques – et ma pratique le confirme – sont peu homogènes, l’IAG est souvent utilisé comme note complémentaire dans ces cas particuliers. La plupart du temps, le QI retenu grâce à la prise en compte de l’IAG est révisé à la hausse. Vous verrez que, dans mon cas particulier, ce n’est pas vrai. En effet, mon meilleur score étant celui obtenu en mémoire de travail (IMT = 140), le fait de ne pas en tenir compte diminuerait le chiffre global (QIT = 127, IAG = 122).

Revenons à notre courbe de Gauss : ainsi, il n’y a, théoriquement, dans la population générale, que 2.2% d’individus qui obtiennent un QIT de 130 ou plus. Nous en inférons que les sujets dits haut potentiel partagent une forme de réalité, sur le plan cognitif, avec seulement une très petite partie de la population … Mais rien ne dit encore qu’en obtenant 130 on partage la même réalité que celle que vit celui qui obtient 150 … Ce que l’on peut observer néanmoins, sur le plan clinique, c’est que les individus qui parviennent à de tels scores présentent des caractéristiques psychiques similaires (telles que celles classiquement décrites par Jeanne Siaud-Facchin ou Monique De Kermadec, deux auteures-phares).

Maintenant que le principe de la courbe de Gauss nous est familier, réfléchissions à cette fameuse histoire de seuil. Comment les auteurs l’ont-ils fixé ? De manière aléatoire. En effet, la courbe de Gauss suit une progression continue. Si nous la retenons en tant que modèle théorique de la répartition de l’intelligence humaine, nous devons nous rendre à l’évidence qu’elle ne propose aucun saut, ni seuil. Ainsi, obtenir 150 de QI est bien présenter un plus haut potentiel qu’obtenir 130. Et la même logique préside à la comparaison entre 100 et 80 (toutes choses égales par ailleurs, évidemment).

Reste à savoir si l’hypothèse biologique retenue est compatible avec le modèle théorique de la courbe de Gauss. En effet, cette particularité serait codée génétiquement (pour un traitement de ce sujet, voir cet article). Mais comment se transmet-elle ? Peut-on envisager recevoir davantage de « potentiel » si chacun de nos deux parents nous en transmettent ? Dans quel degré ?
Ainsi, si la multiplication des connexions entre les neurones est responsable du haut potentiel, y a-t-il une raison de retenir l’hypothèse d’un seuil (de type on/off) à 125 ou 130, reléguant tous les humains qui obtiennent un score en deçà dans une autre catégorie cognitive ?

Tout cela, c’est encore de la théorie. En pratique, les profils cognitifs des patients que je reçois ne permettent pas de tracer une ligne horizontale entre les indices. En particulier, ils présentent le plus souvent un pic en ICV et une chute en IVT (tel que décrit également dans l’étude de Morin pour la WISC).

Mais il existe des exceptions. Comme dans mon cas. Voyons mes scores totaux dans le détail selon les différents indices calculés par l’échelle de Wechsler :
ICV = 122 / IRP = 118 / IMT = 140 / IVT = 105 / QIT = 127 / IAG = 122
Ils sont représentés graphiquement en tout début d’article. Je les ai situés par rapport à la moyenne (100) et aux scores discriminant le haut potentiel selon les auteurs majeurs.

Sans mon pic en IMT, nous retrouverions le profil typique des personnes haut potentiel. Ainsi, dans mon cas, la mémoire de travail est ma particularité par rapport à cette population.
Pour être tout à fait transparente, je note que ma passation ne s’est pas faite dans les règles de l’art. En effet, je connaissais une ancienne version de l’échelle pour l’avoir utilisée avec des patients il y a de nombreuses années. Par ailleurs, nous l’avons faite à mon cabinet lors d’une session de formation : j’étais donc soumise au regard de quatre personnes et la passation a été allongée du fait du contexte. Néanmoins, mes scores donnent quelques indications utiles sur mon profil de compétences cognitives.

Certains auteurs ne me classeraient pas dans la catégorie des sujets haut potentiel (QIT = 127 … donc moins de 130 !). Pourtant, je partage clairement avec cette population les caractéristiques cliniques décrites dans les livres de référence. Et mon cerveau fonctionne plutôt vite et bien, je peux m’en apercevoir chaque jour depuis que je suis enfant. Certes, je présente parfois une forme de « complexe de supériorité » comme je l’appelle 😉 (c’est le fruit des réflexions de mes parents à mon égard, qui m’ont beaucoup valorisée quant à mes compétences mais également du constat que bien souvent je fais mieux par moi-même qu’en attendant des autres qu’ils le fassent). Par ailleurs, de tous les protocoles réunis à ce jour dans ma clinique, je possède l’IMT le plus élevé. Je ne peux l’expliquer par ma structure de personnalité ou par un trouble psycho-organique. Je sais que j’ai exercé cette mémoire de travail depuis que je sais lire (même avant peut-être). J’ai passé des heures en déplacements à lire les plaques minéralogiques et à répéter les lettres/chiffres dans leur ordre inverse. L’un des exercices du sous-test Mémoire des chiffres demande l’utilisation de cette compétence. Ce sous-test m’a paru ludique et stimulant. En note standard, j’ai obtenu le maximum possible (19 points). Selon Morin, la réussite à cet indice dénote de bonnes capacités à gérer le stress, ce qui ne serait pas habituellement le fort des personnes HP. L’on remarque par ailleurs très souvent que la dévalorisation (ainsi que l’anxiété et la dépression) prétéritent les scores.

Parmi mes patients, celui qui a obtenu le score le plus élevé (QIT = 140) et dont je possède le rapport de bilan (donc les scores aux indices), obtient une note de 114 en vitesse de traitement. C’est dire si son profil est hétérogène (sa note la plus haute à l’un des indices est de 150). Il présente d’ailleurs un score pour la mémoire de travail presqu’aussi haut que le mien. Par ailleurs, parmi les sujets testés à mon cabinet, une patiente au sujet de laquelle personne n’émet de doute quant à son statut de haut potentiel (à part elle-même bien entendu ;-)), de structuration névrotique (donc normale), obtient un score total de 92 (IAG = 100). Son profil est similaire à celui d’un enfant testé par une neuropsychologue qui a été reconnu comme présentant des difficultés psychologiques affectant grandement la passation. Morin précise d’ailleurs que dans le cas d’un manque majeur de confiance en soi, proposer quand même le test ne revient qu’à mesurer le niveau de mésestime.

Ainsi, même s’il est clair qu’un individu qui obtient 125 au moins à chaque indice peut être considéré comme répondant à la définition du sujet haut potentiel (selon les auteurs principaux), il n’y a à mon sens pas de seuil à partir duquel on ne peut considérer être dans ce cas de figure de manière certaine …

Lorsqu’il s’agit de déterminer si la souffrance que l’individu exprime peut s’expliquer par la multiplication des connexions de son cerveau et la rapidité de sa pensée, les caractéristiques cliniques repérées chez le sujet prennent alors tout leur sens, en plus du type de profil repéré à l’échelle de Wechsler et de la mise en évidence précise des raisons qui expliquent la détérioration des scores.

À deux reprises (sur une quinzaine de passations), j’ai dû me rendre à l’évidence que l’hypothèse de haut potentiel ne tenait pas la route. Dans les deux cas, l’hypothèse avait été posée par une mère haut potentiel testée à mon cabinet et qui s’inquiétait pour son enfant déjà adulte en évoquant cette particularité comme potentielle cause de troubles. Dans l’un des cas, il s’agissait d’une personne qui présentait une autre structure psychique que la structure névrotique (de type « psychose ordinaire » telle que décrite dans cet article). En effet, les réponses aux sous-tests verbaux présentaient des caractéristiques qui nous ont permis de mettre en évidence cette structure de personnalité. Dans un cas comme dans l’autre, bien que l’explication était à trouver ailleurs, la passation de l’échelle a eu le mérite de la mettre en évidence.

En effet, pour peu qu’on sache bien les utiliser, les échelles d’intelligence de Wechsler sont des outils extrêmement puissants sur le plan de l’évaluation clinique des sujets et du repérage de leurs particularités de fonctionnement. Elles offrent des données au sujet des personnes testées situant leurs compétences cognitives au sein de la population générale et elles permettent également de mettre en évidence une multitude de caractéristiques cliniques relatives au type de traitement des tâches, à la gestion du stress, ou encore à la structure psychique, pour donner quelques exemples.

Virginie Kyburz / Trajet Maurice – Dubaï, le 08.08.2017