Acte III – Les Cantat et les Trintignant

Noir Désir.
LE groupe de rock qui a accompagné mon adolescence, et quelques années suivantes aussi.
Pendant des lustres, « Ernestine » a été mon pseudo sur Internet. J’aimais bien celle que le chanteur dépeint. Et c’est si beau, ce violon, dans un morceau de rock comme celui-là…

En concert, Bertrand Cantat donne, il se donne, mais en même temps il puise de l’énergie auprès de son public, pour entrer en état de transe.
Bertrand Cantat donne, mais il prend aussi. Il donne des sensations, le vertige. Mais il prend la vie.

Un dilemme nous assaille alors : doit-on le condamner à jamais pour les vies qu’il a prises ?

Ecoutez cette voix. Cette intensité. Cette sensibilité.
Nous autres anciens fans, avons-nous le droit de garder pour lui un certain attachement, lui qui nous a offert ce qu’il a de meilleur en lui ? Et puis, surtout, l’on doit se demander : s’il n’avait pas cette autre part, cette part sombre, cette ombre, serait-il capable de nous donner ceci ? :

« Emmène-moi danser
Dans les dessous
Des villes en folie
Puisqu’il y a
Dans ces endroits
Autant de songes
Que quand on dort
Et on n’dort pas
Alors autant se tordre
Ici et là 
Et se rejoindre en bas
Puisqu’on se lasse de tout
Pourquoi nous entrelaçons-nous ?
(…)
Emmène-moi, emmène-moi
On doit pouvoir
Se rendre écarlates
Et même
Si on précipite
On devrait voir
White light white heat
Allez enfouis-moi
Passe-moi par dessus tous les bords
Encore un effort
On sera de nouveau
Calmes et tranquilles
Calmes et tranquilles
Serre-moi encore
Serre-moi encore
Etouffe-moi si tu peux
Serre-moi encore
Nous les écorchés vifs
On en a des sévices… »

Et ceci… et ça… mais aussi ça !!
Et puis, wouah !, celle-là

On peut ne pas aimer. Moi je frissonne…

Faut-il avoir beaucoup souffert pour créer ainsi ? Cantat, c’est sublime et violent à la fois.
C’est : à la fois. Il est bien possible que l’un n’aille pas sans l’autre. Je vais tenter d’illustrer comment, pourquoi.

Dans l’affaire qui concerne Marie Trintignant d’abord, il y a un seul coupable mais il y a une foule de personnes impliquées. Comme dans toutes les affaires. En effet, les expertises psycho-légales que je mène depuis maintenant vingt ans le confirment.

Je vais tenter d’expliquer comment les protagonistes, soit les amants d’abord, mais également les membres de leur entourage, ont joué un rôle dans le drame. Mes analyses se basent sur les vidéos toujours en ligne sur Internet des victimes, et des proches des familles Cantat et Trintignant. Et sur l’excellent et précis ouvrage de Bouchet et Vézard, Bertrand Cantat Marie Trintignant. L’amour à mort, paru en 2013.

Bertrand a très probablement grandi avec un ou des parents de structure rose (pour l’utilisation des couleurs pour désigner les structures psychiques, utilisation qui facilite l’explication, lire l’Acte I). En effet, sinon comment comprendre sa couleur à lui ?

Il est encore compliqué pour moi de comprendre la raison pour laquelle Bertrand Cantat est devenu vert. En effet, son grand frère Xavier semble être bleu. J’avais d’abord posé l’hypothèse selon laquelle Xavier n’avait pas pu protéger son cadet contre un changement de couleur parce qu’il était lui-même rose… Mais je me suis trompée. J’ai soumis l’analyse de la vidéo de son interview par Ardisson à mes collègues expertes, parce que je n’étais pas certaine d’avoir bien à faire à un individu non symbolisant… Xavier a écrit un livre pour défendre (comme le fera tout aîné bleu qui se respecte) son frère cadet contre les imprécisions dont il est la cible, tout en reconnaissant la gravité du crime de son cadet. J’avais pris ce que je pense être un état dépressif au moment de l’interview pour ce qu’il n’était pas (une structuration non symbolisante).
Mais il reste pour moi une énigme parce que j’avais posé l’hypothèse que l’aîné protège le cadet contre le changement de couleur (de bleu à vert)…
Alors, Xavier était-il absent lors de l’enfance de Bertrand ? Est-ce que leur petite différence d’âge (un an seulement) en est la raison ? Et puis comment Xavier, lui, a-t-il pu résister au changement de couleur ? Peut-être parce que Bertrand est beaucoup plus intense que lui… il y aurait donc un impact différentiel de la structuration psychique parentale fonction de la sensibilité de l’enfant…

L’impact du mode de fonctionnement du rose sur celui d’un individu qui est né bleu est invisible à l’œil nu. Mais il est radical : il modifie profondément le rapport aux autres. Il fait, au fil des semaines, des mois et années d’enfance, son œuvre de transformation profonde, sans que personne ne le sache. Il rend vert un individu qui était né bleu. Pourquoi ? Comment ? Parce que le cerveau du petit Bertrand est blessé sans cesse par manque de compréhension entre deux systèmes langagiers différents et incompatibles : le sien et celui de sa ou de ses figures parentales.

Le rose est dans un discours qui prend le texte au pied de la lettre (voir cet article de blog pour l’explication). Le bleu, lui, est le spécialiste du discours qui ne dit pas clairement ce qui devrait être dit. Le vert appartient au monde psychique du bleu, mais son discours (et sa psyché) a subi les affres des blessures quotidiennes infligées à son être : alors il est plus lucide, plus narcissique, il s’épanche et se plaint, il crie aux monstres et aux voleurs, et il peut se montrer trash. Il n’hésitera pas à critiquer, à mépriser autrui. Mais il peut rester poète. Un poète transgressif et orienté sur lui.

Bertrand, enfant, individu haut potentiel (intense), donc hypersensible, n’a pas pu résister à l’assaut du discours rose. Il opposera la poésie du sujet symbolisant au discours sans relief du rose. Ce n’est pas toujours ainsi : je connais des êtres qui sont restés bleus bien qu’ayant grandi avec des parents roses. Je n’ai pas encore compris par quel mécanisme, sauf que j’ai pu observer qu’ils ont en commun de s’être postés en contre. Et qu’ils présentent un style d’attachement non sécure et butent sans cesse contre un même mur, dans les relations qu’ils entretiennent avec leurs objets d’attachement. Ils ont toutes les caractéristiques des êtres traumatisés (pour une image du type de personnage, regardez comment Tokyo se comporte dans la série espagnole La casa de papel).

Bertrand est donc devenu un adulte vert : alors, il est dans la distorsion relationnelle. Il se plaindra de l’attitude des médias dans son interview accordée aux InRocks après la mort de Marie. Il refera l’histoire par distorsion mémorielle, parce que cela arrange son narcissisme, auprès des membres du groupe outrés par cette nouvelle attitude de retrait de responsabilité lorsqu’il évoquera à nouveau cette nuit-là, à Vilnius. Et il leur dira qu’ils surfent sur la vague de sa notoriété à lui. C’en sera fini du groupe Noir Désir et du mensonge, ce mensonge demandé par Kristina Rady sa femme pour cacher le passé de violences de Bertrand auprès des tribunaux lituaniens. Et des médias.

Ils auraient cru à la possibilité pour Cantat de se soigner. Combien de temps ai-je cru moi aussi à cette capacité  d’amendement ? La vérité, c’est que seuls les bleus avancent dans les psychothérapies que je mène. Et que j’ai menées en prison.

Dans le giron des proches, on évoque à raison l’emprise de Bertrand sur les autres : par le verbe, et les menaces de suicide manifestement. Par le verbe, le frère de Marie l’a expérimenté, cette fameuse nuit. Lui qui, dans l’après-coup, ressentira un vécu de trahison.

Kristina en est morte elle aussi. De cette emprise.
Qui protégea les deux victimes de Cantat ? Pas les mères de ces femmes en tous cas. J’y reviendrai.

A Marie maintenant.

Marie, donc, l’une des victimes de Cantat, une femme discrète et tendre, mais qui possédait un fort caractère derrière ces apparences. Ce qu’elle n’a pas compris, c’est qu’on n’agresse pas un homme à bout psychologiquement et physiquement, un homme à terre, parce qu’il deviendra un animal prêt à sauter sur la source de l’agression. J’ai déjà vu un homme de structure saine (bleue) tuer la femme qu’il aimait : il l’a étranglée parce qu’elle-même l’avait mis dans une position insoutenable, une double contrainte. En effet, elle lui expliquait qu’elle se trouvait entre lui et son amant, sans pouvoir choisir, puis lui déclama « Cornuto » (cocu)… avant de perdre la vie.
Ce qui est davantage imputable à la structure psychique de Cantat (verte), c’est la non assistance à personne en danger, soit une exigence interne à se représenter Marie hors de danger. Parce que se la représenter en danger de mort, la nuit du drame, aurait amené Cantat à reconnaître son propre potentiel de violence, ce qui n’est pas compatible avec son besoin narcissique (soit la façon dont il a besoin de se représenter lui-même pour ne pas sombrer dans un sentiment profond d’être un moins que rien).

Des mères qui ne savent pas protéger leurs filles, j’ai dit.

En effet. Manifestement, Nadine ne s’est pas inquiétée pour Marie. Même après ce SMS de sa fille pendant le tournage à Vilnius signé « Fifille battue ». Les roses ne décodent pas bien le discours des bleus, qui n’est jamais très clair il est vrai, et qui est plein de pudeur. Pourtant, tout le monde avait l’air de dire que Marie se comportait différemment de d’habitude, qu’elle était peu présente pour les événements sociaux durant ce tournage. Lambert Wilson a observé une relation immature entre les amants. Bertrand se serait confié à Nadine sur sa relation difficile avec Marie. Il y a fort à parier qu’il attendait de la mère de son « amour », comme il disait, une forme de reconnaissance et une place dans cette famille. Mais le rose ne décode pas les attentes des bleus et des verts. Pour exemple, cette scène observée entre un enfant bleu de huit ans et sa grand-mère rose : le premier dit « Regarde Grand-maman, j’ai grandi, je fais presque ta taille », et la dame âgée de répondre : « Non, tu es plus petit que moi ».

Problème de langues…

Nadine, elle, n’aurait réussi qu’à rappeler le fort attachement qui unissait sa famille à Samuel Benchetrit, l’ex-mari de Marie. Et elle énonce cela à un Cantat rongé par la jalousie. Pas très malin, on dira…
Oui. Sauf que lorsqu’elle fait cela, elle ne sait pas qu’elle fait cela.

Je peux bien entendu expliquer comment je diagnostique la structure de Nadine Trintignant. Les éléments les plus probants sont dans son discours : pensée sans nuances (cf. son livre à charge contre Cantat, « l’assassin »), argumentaire ne respectant pas les règles de la logique, par difficulté à traiter l’hypothétique (selon elle, qui a cherché dans les archives de l’Histoire !, il n’y a pas de précédent de remontée sur scène pour un meurtrier, ce qui justifierait en soi que Cantat en soit privé), rapport à son enfant ne respectant pas les stades évolutifs de chacun (« Marie, tu seras toujours dans mon ventre », aurait-elle déclaré lors de l’enterrement de sa fille). 

Ce type de discours vous paraît anodin, sans impact ? Imaginez pourtant une enfant bleu intelligente se débattre avec l’argumentaire manichéen et la pensée « délirante » de sa figure d’identification, toute son enfance (et sa vie d’adulte…). Ça, c’est l’enfance de Marie. Heureusement qu’elle avait Jean-Louis pour pouvoir expérimenter un son de cloche différencié.

La mère de Kristina, elle non plus, ne bougera pas. Alors même que sa fille lui laissait, six mois avant sa mort, un message vocal qui dit tout de sa détresse. Qui dit tout, ou presque tout : pudeur de bleu, pudeur qui met en danger ! Oui, il faut dire clairement les choses aux gens, si vous voulez être protégé ! Parce que certains êtres humains ne savent pas lire entre les lignes.
La mère de Kristina se range maintenant du côté de Cantat…
Cette mère qui, de son propre aveu, reconnaissant ne pas savoir se défendre, nous apprendra dans le même temps qu’elle n’aura évidemment pas su transmettre cette compétence à son enfant…

Dans une interview accordée à la télévision, Jean-Louis Trintignant évoque que, depuis le décès de sa fille survenu il y a de cela quinze ans déjà, il ne fait qu’aller toujours plus mal. Et cela se voit. On souffre pour cet homme, de le voir ainsi.

Avec son nouveau groupe, Détroit, Cantat chante Ange de désolation :
« Dors mon ange
Dors
L’éternité nous appartient
(…)
Rien ne pourra jamais nous enlever nos frissons »

Il lui a enlevé la vie mais il pense à leurs frissons.
Dans cette chanson, on sent qu’il a besoin de dire qu’elle lui appartient.

C’est vrai : rien ne lui enlèvera ce qu’ils ont partagé. Mais, dans ce texte, aucune parole de remord.

Ce texte me met très mal à l’aise. Je n’aime plus du tout ce que fait Cantat.
C’est indécent.
L’on se dit : mais comment ose-t-il ? Se plaindre des porcs ? Alors qu’il a tué.
En l’écoutant chanter, je suis… dégoûtée.
A contrario, j’avais été tellement frappée par le sentiment de respectabilité qu’un ancien patient détenu m’avait inspiré : il m’avait informée qu’il ne viendrait plus à ses séances de psychothérapie parce que cela le mettait en position de se dédouaner pour le meurtre de la femme qu’il avait aimée, et qu’il trouvait cela inacceptable. Voilà comment réagit un homme bleu.

Et, partant, voilà pourquoi l’attitude de Cantat, quant à elle, choque nos âmes humaines.
Ne pas voir sa part, exprimer la part de l’autre. Se plaindre.
C’est vert. C’est tellement terriblement vert.
Ou comment se dédouaner de sa culpabilité écrasante.
Pour y survivre.

Sans doute comme quand Xavier Dupont de Ligonnès estime, en son for intérieur, qu’il doit épargner à sa femme et à ses enfants la souffrance en choisissant de les tuer plutôt que de les laisser sans le sou. Et sans lui, qui choisit de survivre. Et de continuer son chemin.

C’est tellement terriblement vert.

Mais qu’y peuvent-ils, ces êtres, au fond, d’être devenus verts ?
Destins brisés. Brisant la destinée d’autres êtres…

Je pleure.