Au pied de la lettre

Certains êtres humains prennent les paroles des autres humains au pied de la lettre. C’est également comme cela qu’ils traitent les textes bibliques. Sans aucune forme de distance. Sans chercher à comprendre le sens qui se cacherait derrière les mots, les paroles, les images.

Ainsi de Ben Laden. Et de tant d’autres individus persuadés d’être dans le juste et qui terrorisent leurs congénères.

Je dis de ces sujets qu’ils ne symbolisent pas.

L’être humain souffre de ne pas comprendre le langage des autres humains avec lesquels il interagit. Comme déjà mentionné dans un autre article de blog, il y a au moins trois façons d’être au monde. Évoquons ici la plus spectaculaire.

Ils ne comprennent pas le mensonge, le double sens des mots, et ils croient que les autres humains portent des masques. Lorsqu’ils sont quittés, ils estiment que leur conjoint a cassé le couple, cassé la famille. En fait, ce dernier a cassé l’image que celui qui ne symbolise pas s’était fait de son couple, de sa famille. Le principe de réalité ne tient pas. L’image est un leurre. Mais le sujet ne s’en préoccupe pas. Parce que quelque chose, dans son cerveau, lui permet de nier, de cliver… la réalité telle qu’elle est.

Ils nous croient, lorsque nous leur mentons. Certains de mes patients les décrivent comme naïfs, malléables comme de la « pâte à modeler ». Diagnostiquez la structure psychique et vous ne serez plus surpris. Autrement, c’est la porte d’entrée au doute, à la culpabilité personnelle, à la remise en question de ses propres pensées et actes. Parce que eux ne le font pas. Ils rejettent à l’extérieur la responsabilité de tout ce qui arrive.

Vous me lisez et vous croyez reconnaître quelqu’un ? Alors creusez, vous n’êtes pas loin d’avoir compris.

Mais ne vous méprenez pas, ne croyez pas qu’ils cherchent à nous manipuler. Ils ne sont pas capables de le faire de la façon dont d’autres le sont. Ils ne font que vivre, être, et ils apprennent des comportements en observant les conséquences de leurs actes : si ces conséquences les arrangent, ils chercheront à les reproduire. Mais leur capacité intersubjective est mauvaise. Et, partant, leur empathie est faible : ils peuvent se montrer affectés par une situation qui leur rappelle un vécu douloureux, mais bien parce qu’il se réfèrent à eux-mêmes… pas véritablement au vécu de l’autre.

Wolfgang Priklopil, cet homme qui a séquestré pendant des années Natascha Kampusch, fait partie de cette catégorie structurelle (comme tous ceux qui commettent les crimes les plus graves) : il disait qu’il aurait aimé qu’il existe un mode d’emploi pour savoir comment fonctionnent les enfants…
Ainsi, ces individus sont soumis à des règles, des codes, intégrés par apprentissage. Et ils doivent tout apprendre. Ils généralisent mal leurs acquis. Partant, leurs comportements sont souvent plaqués et pas adaptés à une nouvelle situation.
Comme nous l’enseignait déjà Joyce McDougall, cette si pertinente psychanalyste d’origine néo-zélandaise, ils connaissent les règlements mais pas la Loi.

Je pense à ce père de famille, un homme que j’ai rencontré lors de mon activité en tant qu’intervenante en protection de l’enfance, qui battait son enfant de la façon dont la Bible lui semblait l’enseigner (il faisait référence à un passage du texte) : partant, il se trouvait légitime dans ses agissements. Je pense à ce patient de prison qui légitimait le meurtre de son épouse par des arguments référés à sa culture, des éléments culturels pris au pied de la lettre.

Vous aimeriez que je vous donne un exemple d’individu non symbolisant ? A part Donald Trump ?
Michael Jackson.
Dan Reed a consacré un long documentaire, Leaving Neverland (2019), à la parole des victimes du chanteur. Les interviews sont impressionnantes. Elles montrent comment une victime symbolisante se trouve à la fois prise dans l’admiration et la reconnaissance pour ce que cet homme lui a apporté et comment, en même temps, elle parvient à mesurer la portée des actes commis sur elle.
Michael Jackson est un génie musical. Il a bien la connectivité cérébrale d’une personne à haut potentiel, mais il présente une structure de personnalité non symbolisante. En attestent sa façon de jouer avec des enfants comme s’il était lui-même un enfant et la manière dont il a mis en danger son propre bébé le jour où il l’a présenté à son public en le tenant de manière non sécure, au-dessus du vide. En atteste également cette nécessité absolue chez Michael Jackson de transformer son visage pour qu’il réponde à une image qu’il s’était faite, et ce même si cela devait le rendre monstrueux, plutôt que de l’accepter tel qu’il est.

Nombre d’abuseurs sexuels présentent cette même structure de personnalité : sur un échantillon de 15 auteurs d’abus que j’avais en traitement, 10 la partageaient. Les 5 autres symbolisaient (4 appartenaient ainsi à la structure perverse, le dernier n’étant pas un abuseur sexuel même s’il avait été condamné comme tel… Je vous passe le détail, que vous trouverez dans mon slide).
De ce fait, il ne serait pas du tout étonnant que Michael Jackson ait réellement commis les faits qui lui sont reprochés.

A un moment du reportage, il est interviewé par l’une de ses victimes au retour d’un séjour à… Hawaï si je me souviens bien. L’enfant lui demande ce qu’il a aimé le plus durant le séjour. Michael Jackson parle alors de la présence de cet enfant comme argument incontestable dans le plaisir qu’il a eu à faire ce voyage.
Comme quoi, les sujets non symbolisants, non seulement, prennent les paroles et les textes au pied de la lettre, mais ils doivent également être interprétés de la même manière : au pied de la lettre. Et jamais, au grand jamais, sur le plan symbolique.

Virginie Kyburz / 07.04.2019